LA VIE EN CATIMINI
PAUL GERALDY
Paul Lefèvre, dit Paul Géraldy (1885-1983)
Auteur de théatre, mais surtout poète. Il a bercé toutes mes inspirations depuis mes 20 ans à peu près.
Son recueil "Toi et moi" est une pure merveille et il va falloir que je m'en achète un nouvel exemplaire, tellement je l'ai lu et abîmé...
Savourez ce "macho" au coeur tendre, avec ses mots qui coulent et parlent comme dans la vie de tous les jours.
Savourez la véracité de ses analyses de moeurs...
Savourez cette perspicacité dans les mots et les termes choisis....
MEDITATION
On aime d’abord par hasard
Par jeu, par curiosité
Pour avoir dans un regard
Lu des possibilités
Et puis comme au fond, soi-même
On s’aime beaucoup
Si quelqu’un vous aime, on l’aime
Par conformité de goût
On se rend grâce, on s’invite
À partager ses moindres maux
On prend l’habitude vite
D’échanger de petits mots
Quand on a longtemps dit les mêmes
On les redit sans y penser
Et alors, mon Dieu, on aime
Parce qu’on a commencé
--------------------------------------------------------------------
NERFS
Non ! Ne t'enfuis pas !
Ce geste ! de te repousser de moi,
cette rigueur, cette voix,
ce mot brutal _ reste ! reste !
ne s'adressaient pas à toi.
Je ne gronde et vitupère
que contre mon propre ennui.
C'est sur toi qu'en mots sévères
se délivrent mes colères,
mais c'est moi que je poursuis.
T'en vouloir? De quoi ? Je pense
à ton cœur sans récompense.
Je le voudrais rendre heureux.
C'est de mon insuffisance,
pauvrette, que je t'en veux.
Ris-toi donc du méchant geste
et pardonne aux mots mauvais.
En toi ce que je déteste
C'est le mal que je te fais...
-----------------------------------------------
Et tu ressembles à ta mère.
---------------------------------------
ABSENCE
Ce n'est pas dans le moment
où tu pars que tu me quittes.
Laisse-moi, va, ma petite,
il est tard, sauve-toi vite!
Plus encore que tes visites
j'aime leurs prolongements.
Tu m'es plus présente, absente.
Tu me parles. Je te vois.
Moins proche, plus attachante,
moins vivante, plus touchante,
tu me hantes, tu m'enchantes!
Je n'ai plus besoin de toi.
Mais déjà pâle, irréelle,
trouble, hésitante, infidèle,
tu te dissous dans le temps.
Insaississable, rebelle,
tu m'échappes, je t'appelle.
Tu me manques, je t'attends!
---------------------------------------------------
EPREUVE
Tu me racontes qu'à ce bal
tu as ri, ri, comme une folle.
Et tu te plains que tes paroles
aient l'air de me faire du mal.
Je voudrais ne pas sembler triste,
mais j'ai du chagrin, oui, c'est vrai.
Tu dis que je suis égoïste.
Cependant, tu l'as fait exprès.
Cette peine que j'ai, méchante,
tes yeux la guettaient dans mes yeux,
et si j'avais eu l'air joyeux,
tu n'aurais pas été contente.
----------------------------------
AVEU
Je sais bien qu'irritable, exigeant et morose,
insatisfait, jaloux, malheureux pour un mot,
je te cherche souvent des querelles sans cause...
Si je t'aime si mal, c'est que je t'aime trop.
Je te poursuis. Je te tourmente. Je te gronde...
Tu serais plus heureuse, et mieux aimée aussi,
si tu n'étais pour moi tout ce qui compte au monde,
et si ce pauvre amour n'était mon seul souci.
---------------------------------------
MEDITATION
Quoiqu'on aime et souffre ensemble,
tous les deux,
au fond l'on ne se ressemble
que bien peu.
Il suffit d'une querelle
même infime,
pour qu'entre nous se révèlent
des abîmes!
On croit qu'on est éperdu
de tendresse,
mais dès qu'il ne s'agit plus
de caresses,
on ne se comprend en somme
qu'à demi...
Si tu étais un homme,
serions-nous des amis?
---------------------------------